dimanche 30 octobre 2011

Cadavre Exquis, Session 1 : l'Intégrale

Je suis mort.
J'en n’ai pas l'air comme ça, et pourtant l'état lamentable dans lequel je me vautre depuis le début du cours de bio tient plus de la décomposition psychologique avancée que d'une quelconque fatigue physique. C'est pas pour rien qu'on parle d'un ennui mortel.
Et là, effectivement, la situation pourrait rendre folle même la plus placide des chèvres andalouses. Je suis coincé comme un string au milieu d’une raie dans ce bled, deuxième à droite après le trou du cul du monde, à me faire chier la bite devant ce cours qui ferait roupiller un testeur de chez Jacques Vabre en 3 secondes chrono, et tout ce que je peux faire pour essayer d'oublier la torture mentale infligée par cette... chose entièrement fabriquée à partir de bouts de profs sadiques et mous, c'est participer d'une main torve à une partie de bataille navale avec mon voisin de droite, Nicolas, aussi démuni que moi mais nettement plus inventif.
J'en viens à espérer qu'ils nous attaquent en plein jour. Au moins là y'aurait du sport...
Ca serait toujours mieux que les trois tours de piste du samedi matin. Je suis trop ironique. Ca me perdra.
"A4..." 
La voix de Nico me sort de ma rêverie. Enfin, de ma rêverie... Bon on s'en fout. 
 "Quoi ?... 
 - A4...
- Petits ou grands carreaux ?" 
Un silence pesant. J'ai dû dire une connerie. Ou alors le prof nous a captés. Ou alors l'un d'entre eux vient de faire irruption dans la pièce. "Sur ta feuille, connard, chuchote Nico. A4, touché ou dans l'eau ?"

C'est le moment que choisit la veste en velours mauve de la créature qui nous tient de prof pour apparaître à moins de 10 cm de mon nez. 
"Dans l'os, je dirais, bêle-t-elle, je vais couler votre porte-avion."
Sadique ET drôle, dis donc... 
"Une dernière volonté avant d'aller voir la CPE ? 
- Oui. Changez d'habits." 
Bon, là c'est peut-être un peu exagéré, mais après tout, autant avoir une bonne raison d'y aller chez la CPE. 
"Je vous demande pardon ? Dites moi que vous avez bien dit ce que j'ai cru entendre...
- Moi vous savez, j'essaie pas de comprendre ce que vous entendez, j'ai déjà du mal à comprendre ce que vous dites... 
- Dites, vous trouvez pas qu'il fait sombre tout à coup ?" 

C'est une autre élève qui a élevé la voix. Audrey. Une conne qui ne mérite même pas de description. N'empêche qu'elle a raison. La lumière semble baisser petit à petit, et une ombre gigantesque commence à se poser sur nous, comme si la nuit tombait à toute vitesse, ou comme... Une éclipse... 
Mécaniquement, ma main se faufile dans la doublure de mon sac. 
"Y'avait une éclipse prévue aujourd'hui ? osé-je avec prudence.
- Pas que je sache, réponds Nico en fixant les ténèbres qui engloutissent progressivement la lumière du jour. Mais d'un autre côté j'ai pas regardé la météo, hier soir." 
Un sifflement discret. Je m'empare de mon Desert Eagle modifié et me lève calmement. 

"A terre..." 

Des regards d'incompréhension se posent sur moi. La créature de l'Education nationale, me voyant armé, hésite entre l'indignation et le sérieux le plus total. Un concerto de feulements assourdissants éclate soudain et de multiples formes humanoïdes desséchées se jettent sur le bord des fenêtres de la classe. 

"A terre !" 

Je lève mon arme au moment où les vitres explosent sous les coups de griffes rageurs des créatures. Les élèves hurlent et se jettent à terre, certains pas assez vite pour éviter leurs assaillants. Je vide mon chargeur à moitié à l'aveuglette dans la pénombre à peine éclairée par les flammes de mon arme. 
J'aimerais que cela suffise à faire exploser joyeusement quelques têtes comme des pastèques, mais malheureusement les faucheurs sont plus évolués que ça, et les trous béants que mes balles en argent forment en éclatant sous leur peau ne les font que lâcher prise, les éjectant de leur promontoire et les laissant s'écraser 7 mètres plus bas. Pas assez pour les tuer, mais bien assez pour les mettre hors d'état de nuire pendant quelques minutes. 
Un des faucheurs saute sur Audrey qui tombe à la renverse au beau milieu de la salle, et entreprend de lui ouvrir le ventre à mains nues pour y puiser directement son jus. Je les laisse batifoler à même le sol et sors un autre chargeur que j'enfile en vitesse dans mon flingue pour le reste de ces saloperies. 
J'en touche un directement dans l'œil, lui confectionnant un monocle en plomb fondu de 10 cm de diamètre. 
Un autre se fait disloquer les parties et une bonne partie du bassin. Le verre vole et les Reapers sont tenus à distance, mais j'aurai jamais assez de munitions pour sauver tout le monde. Laurent, qui tentait de se relever, se fait choper par le dos et plaquer contre un mur. J'entends un cri rauque et gluant, et tout ce que je vois, c'est cette saloperie qui colle sa gueule contre le cou de mon camarade de classe, faisant jaillir de sa carotide assez de sang pour repeindre la Chapelle Sixtine façon Art déco. Faut faire quelque chose. 

"Sortez d'ici ! Levez-vous et sortez !" 

Je continue de tirer bastos sur bastos sur les dizaines de vampires qui déferlent comme des cafards humains dans la salle de classe, tout en me dirigeant le plus vite possible vers la porte. 
J'ai du mal à éviter les traumatisés qui restent allongés par terre en pleurant, espérant que les créatures ne les remarqueront pas (alors qu'elles sont à mon humble avis parfaitement nyctalopes). Tant pis pour eux, ils ne survivront pas. Je laisse passer les autres devant moi et j'en profite pour recharger une nouvelle fois. 
Dernier chargeur. 
Je me retourne dans l'obscurité la plus totale et recommence la salve continue pour couvrir les survivants, juste à temps pour voir un faucheur avoir la mâchoire arrachée par les projectiles de mon calibre alors qu'il sautait sur moi gueule ouverte. 
Si j'arrête de tirer, le noir nous engloutira et on aura alors beaucoup plus de mal à s'en sortir avec tous les os à leur place. 
Mais si j'use mes munitions trop vite, on sera à la merci de ces saletés toutes fripées. 
Les élèves crient et gémissent derrière moi. 

"Mon Dieu on va mourir ! 
- Où est la porte, putain ! 
- Il fait trop noir, on n'y voit rien !" 

Je profite d'une accalmie d'une poignée de secondes pour tirer quelques balles en l'air au-dessus d'eux, ce qui a le don d'éclairer la porte, mais aussi de les faire tous se courber et se boucher les oreilles. Une belle bande de tapettes... 
"Elle est là, la porte, crié-je, la voix à peine audible sous le fracas, les cris et les rugissements, maintenant ouvrez-la, barrez-vous et fermez derrière vous !" 
Moi je reste m'occuper des vilains toutous. 
Et je recommence à péter les rotules de mes assaillants alors que les civils se ruent dans le couloir. Bande de cons... Vous pouviez pas chercher l'interrupteur au lieu de gémir des "Où est la porte" ? 
Je m'approche à tâtons (et sans m'arrêter de tirer) de l'endroit où devrait logiquement se trouver l'interrupteur, butant sur les bureaux et éparpillant le matériel scolaire au passage, et effectivement, alors que j'éparpille également l'estomac d'un suceur d'artère qui a cru bon de foncer dans le tas en beuglant, mes doigts touchent le petit loquet de plastique.

Clic.

Clic...

Et merde...

Je sais pas comment ils ont fait pour l'éclipse, mais en tous cas ces enculés sont foutrement bien organisés, et ils avaient tout prévu à l'avance. J'use mes dernières cartouches sur l'épaule d'un téméraire qui n'aura le loisir de s'en souvenir que s'il lui pousse un autre bras. Il faut que je trouve une solution. 
C'était peut-être pas une bonne idée de leur dire de fermer le verrou, mais c'est mon côté sauveur de la population à la con que l'adrénaline a fait ressortir. J'utilise ma dernière balle sur le crâne ocre verdâtre d'un des faucheurs, ce qui finit de m'asperger entièrement d'un sang bleu marine bien visqueux. 
Au moins si je m'en sors, je pourrais dire à mes parents que c'était une bataille d'encre...

C'est fini. 
Plus de munitions, la porte de sortie fermée de l'extérieur avec les clés de la prof (que quelqu'un a dû lui chourer vu que j'ai entrevu entre deux éclairs son corps éventré traîner lamentablement au pied de son bureau), et l'obscurité totale... 
Si je dois crever, crevons avec classe. 

"Allez bande de pédales ! lancé-je à la cantonade. Je suis tout seul, j'ai plus d'arme, et maintenant vous êtes les seuls à me voir. Venez vous fritter qu'on voit qui a la plus grosse ! Je vais vous la carrer si profond dans le fion qu'il faudra vous opérer des amygdales ! Qu'est-ce qu'il y a, mes beautés, vous avez la trouille ? C'est la branlée que j'ai mise à vos petits camarades qui vous impressionne ?  
- Tu parles trop, petit." 

La voix, calme et posée, a émergé des ténèbres en face de moi. 
"Tu parles trop et tu ne réfléchis pas assez." 
Je peux pas croire que c'est l'un d'entre eux qui me parle aussi clairement. Je savais qu'ils pouvaient communiquer aussi bien que nous, mais pas qu'il s'exprimaient avec une telle aisance. 
"Et j'ajouterais qu'un repas qui nous est offert avec autant de verve mérite que l'on s'attarde sur sa dégustation..." 
Gloups... Et reGloups... 
Je ne les vois pas. Mais une chose est sûre, ils sont là. Au moins une dizaine, à respirer bruyamment, à grogner, à se faufiler dans l'ombre comme des serpents sur pattes. Je les sens s'approcher de moi à pas feutrés, toujours en mouvement. Bientôt ils seront tout proches, et je serai à leur portée. 

Et tout à coup, la porte virevolte avec fracas dans ma direction et vient s'écraser à mes pieds, fauchant au passage un vampire du même nom qui allait me sauter dessus. Les Reapers s'arrêtent net, et j'en profite pour jeter un coup d'œil sur l'entrée de la pièce. 
Un homme d'une cinquantaine d'année aux allures de Hobbit et attifé de la collection Automne-Hiver complète de chez Smith et Wesson vient de défoncer la porte avec ce qui ressemble à un concasseur portable. 
Daniel. Mon oncle. Daniel Whistler. Avec de quoi me sauver et réduire ces poupées de chiffons sanguinolentes en petits bouts de chair, tellement disloquées que même Frankenstein pourra pas les recoller.


« Cowabunga ! me lance Oncle Dan, le visage tordu par l’effort.
- Cowabunga ! je lui réponds, mais t’aurais quand même pu enfiler un pantalon…
- Cowabunga ? »
         Comme à son habitude, mon tête-en-l’air de tonton se balade la couenne au vent, et son arsenal, bien qu’impressionnant (uzis, sabres japonais, cartouches en bandoulière), ne suffit pas à cacher ses attributs virils. Si avec ça les Reapers ont encore envie de bouffer de l’humain… Depuis un attentat de sinistre mémoire, Daniel souffre d’un pète-au-casque aux conséquences socialement handicapantes. L’oubli systématique de se vêtir en-dessous de la ceinture en fait partie, entre autres excentricités. Dieu soit loué, l’agilité et la force de ce guerrier hors pair demeurent intactes, surtout lorsqu’il s’agit de dessouder du Faucheur.
« Cowabungacowabunga ! » Excité comme un clébard qui retrouve son maître, il me serre dans ses bras. « Tu me feras la fête après, Tonton. File-moi les munitions spéciales et virons ces parasites de la salle de classe…
- Cowabunga », acquiesce gravement Oncle Dan. 
 Les petites balles jaunes qu’il me donne n’ont l’air de rien, mais il s’agit de l’arme la plus efficace qui soit contre les suppôts de Satan. Plus meurtrières que le traditionnel crucifix, plus toxiques que de l’eau bénite, plus redoutées que le pieux en bois : des balles farcies à l’aïoli. Sortez vos parapluies, il va pleuvoir du Reaper…  
« A l’assaut ? proposé-je.
- COWABUNGA ! » hurle le Rambo naturiste en mode berserk, avant de charger l’Ennemi – totalement sidéré par cette apparition aussi impudique que vindicative.
Strike ! Les bras et les jambes des Ordures de la Nuit volent comme des quilles tandis que leurs têtes ahuries roulent entre les chaises, leurs dents acérées dessinant des rigoles dans le parquet. L’ardeur de l’Oncle Dan fait plaisir à voir !  Un daïkatana dans une main et un mini-uzi dans l’autre, il virevolte avec grâce entre les monstres et fait chanter l’acier, décapitant ici, tirant une salve là, et lâchant des « cowabungas » rageurs à tout-va.  Son « costume trois pièces » suit le mouvement, selon une élégante chorégraphie qui me rappelle les vagues délicates du ruban des gymnastes… Comme disait mon regretté Papa, Oncle Dan est un peu l’artiste de la famille.
Plus terre-à-terre bien que tout aussi efficace, je m’occupe de faire déguster mon aïoli maison aux hématophiles, mais les pauvres ne semblent guère goûter les mets relevés, car sitôt entrés en contact avec cette sauce exquise, ils fondent comme du bitume en plein été. Très vite, Dan et moi pataugeons dans un charnier aux teintes bleuâtres, où agonisent de rares survivants morts-vivants.
Méfiance, néanmoins… Car dans le fond de la classe plongé dans la pénombre se devinent trois silhouettes prostrées contre le mur, près du radiateur. Des cancres vampiriques, sans doute trop couards pour se battre ?  
« Alors, lancé-je aux poltrons, on ramène moins sa gueule ? Si la pipelette de tout à l’heure veut parlementer, c’est maintenant ou jamais… »
Le mystérieux Reaper doué de parole ne se manifeste pas, mais une voix familière vient troubler le silence : « J’ai toujours rêvé de te sucer, Joe. Tu viens me faire un câlin ? » L’identité de mon interlocutrice ne fait aucun doute, toutefois son intonation coquine me laisse pantois…
« Audrey, c’est toi ? »
Audrey Charopin, la reine des connes, la lèche-cul en chef, déléguée et première de la classe… transformée en Vampirella de pacotille par la morsure d’un Faucheur. Voilà qui risque de compromettre son passage en classe prépa ! Ses parents vont criser… Mais il faut voir le bon côté des choses : désormais, plus personne n’osera critiquer ses dents en avant.
Attirée par l’odeur de mon sang gorgé de testostérone, la nouvelle Audrey sort de l’ombre.
« Mazette, la mort te va bien, poupée. Ton regard est moins vide, ton visage a gagné en mystère, et franchement, je trouve que ta balafre abdominale te donne un côté gothique assez sexy.
- Merci, mon mignon ! »
L’air de rien, l’Abomination en chaleur s’approche de moi et me roucoule d’un air languissant : « Sais-tu pourquoi les femmes-vampires sont les meilleures amantes dont un homme puisse rêver ? 
- Heu… parce qu’on peut vous baiser à mort ?
- Parce qu’on avale à tous les coups, jusqu’à la dernière goutte ! »
Et Audrey de fondre sur ma jugulaire droite. Je l’esquive de justesse, ses dents claquent à mon oreille, et je m’accroupis derrière son dos. « Désolé chérie, mais je me laisse jamais mordre le premier soir. » Une bonne balle d’aïoli dans le cul, et Audrey se consume sur le carrelage, comme un cachet d’Efferalgan.
« Sans rancune, lui dis-je. D’façons, rien n’était possible entre nous : t’as 16 piges, j’en ai 32. Tu m’as pris pour quoi, un pédophile ? » Surnageant au milieu du magma putride de ses organes en ébullition, ses yeux me lancent un ultime regard interrogateur, preuve que ma couverture était en béton armé. Ouf, fini de jouer la comédie !
Je brandis mon badge et m’adresse aux deux blaireaux restants :
« Agent Joe Dante, des Forces d’Intervention contre les Ordures de la Nuit. Vous êtes en état d’arrestation. Mais si vous préférez bouffer de l’aïoli, c’est tout aussi volontiers… »
Les créatures sursautent à mon annonce et se traînent à grand peine vers la lumière.
L’une a le teint blême et un sourire béant en travers de la gorge : il s’agit de Nico, mon voisin de table. La seconde, qui tient ses intestins entre ses bras, n’est autre que Mme Arriba, notre prof. Elle est la première à parler :
« Je vous ai toujours considéré comme un élève des plus médiocres, M. Dante. Mais pour un trentenaire, votre niveau relève de la débilité mentale… »
Vexé, je lui colle une balle dans la tête. De toutes manières, elle aurait tenté de me béqueter tôt ou tard. Je me montre en revanche plus diplomate envers Nicolas : « J’ai pas envie de te buter, mec, mais j’hésiterai pas. Collabore avec le F.I.O.N., et t’auras la vie sauve… »
Pour se faire entendre, mon ami est obligé de poser une main sur sa plaie du larynx : « La vie sauve ? Tu te fous de moi ? Bordel, Joe, j’ai franchement pas envie de rire… Je vais devoir braquer des banques du sang jusqu’à la fin de mes jours. Enfin, de mes nuits. Et pire : je serai un ado pour toujours. Forever young... Sans déconner, toi t’as vraiment la trentaine ?
- Ouaip. Je suis frappé du même syndrome que Michael J. Fox.
- Parkinson ?
- L’autre.
- Et t’es un putain de keuf infiltré ?
- Comme dans 21 Jump Street, je lui confirme.
- Et moi qui pensais qu’on était de vrais potes ! On s’connaît depuis la Seconde, j’t’ai confié mes secrets et t’as même dormi chez moi ! Les soirées fumette et branlette devant Alerte à Malibu, ça signifiait rien pour toi ? C’était que d’la comédie, enfoiré ?
         - Je garde de bons souvenirs de notre amitié, je lui réponds. Mais le boulot, c’est le boulot. » 
         Comme un film en accéléré, les épisodes clés de ma mission me reviennent en mémoire : mon adoption bidon dans une famille d’accueil, le retour dans l’enfer du lycée, mes efforts pour me fondre dans la faune locale, les interminables et soporifiques heures de cours, les gueules garnies d’acné de mes camarades, les lycéennes à la foune incandescente auxquelles je n’ai strictement pas le droit de toucher (bon, je veux bien avouer une ou deux pipes express dans les toilettes, mais rien de plus), les cours de sport, les devoirs, les passages au tableau, les bulletins de notes catastrophiques, les heures de colle, les bals de fin d’année... et pas le moindre signe d’activité vampirique durant trois longues années... jusqu’à ce jour béni !
         « GrrrRRRrrr ! » J’ai comme l’impression que Nico le Vampire commence à perdre patience… Du sang bleu dégouline abondamment de sa gorge tranchée et ses yeux me lancent des éclairs. « Explique-moi un truc, Joe : en tant que flic, t’étais pas censé protéger la population ? T’as même pas levé le petit doigt pour me venir en aide !
         - Sauver les civils n’a jamais été une priorité, lui avoué-je. Ma mission est d’observer le mode d’action du groupuscule terroriste des Ordures de la Nuit. Rien de plus. »
         La déception de mon camarade est flagrante. Les jeunes sont si fragiles, de nos jours… Pendant un instant, je crois que Nico va se jeter sur moi pour étancher sa rage… mon index se crispe sur la gâchette de mon Desert Eagle et je le mets en joue… mais contre toute attente le jeune vampire se défenestre (« Poulet de merde ! » crie-t-il durant sa chute) et disparaît dans les ténèbres. Les Ordures de la Nuit ont gagné un nouveau membre, et moi un nouvel ennemi.

Pendant que je m’épuisais à parlementer, Oncle Dan s’est chargé d’éradiquer une bonne fois pour toutes les Reapers tombés au combat. Tant qu’il leur reste un misérable bout de cervelle, ces pourritures risquent de se relever… D’ordinaire, on brûle les corps. Mais Daniel Whistler a une méthode bien à lui…
« Cô-ô-ô-ô-waaaaabuuuungaaaaa » soupire-t-il en se tapotant le ventre.
Traumatisé par une célèbre scène d’Indiana Jones et le Temple Maudit, mon oncle ouvre les crânes des Faucheurs à l’aide de son concasseur portable, puis bouffe leurs cervelles bleues à la petite cuillère. Au début, les scientifiques du F.I.O.N. craignaient qu’il ne se transforme en goule, et puis en fait non, Oncle Dan est resté Oncle Dan, sa méthode semble sûre. Cela dit j’ai toujours refusé de la tester… M’est d’avis que c’est pas demain la veille que je trouverai les cadavres exquis.
         « Une idée sur les plans de l’attaque d’aujourd’hui ? » lui demandé-je. Depuis son accident, mon oncle possède un lien mystérieux avec les Reapers : lorsque ces créatures débarquent, il n’est jamais loin… comme un chien attiré par l’odeur de la bouffe. Peut-être sait-il comment les vampires s’y sont pris pour faire tomber la nuit en plein milieu de l’après-midi ?
         « Cowabunga », me répond-il dans un haussement d’épaule, avant de suçoter bruyamment les orbites d’une Faucheuse.
         « Au début je pensais à une éclipse, je poursuis, mais je me trompais : on devine la silhouette blafarde du soleil derrière les nuages… C’est comme si une épaisse fumée noire emplissait le ciel… De la fumée… Mais bien sûr ! Les Ordures ont dû construire un Générateur d’Ombre ! Et ils l’auront forcément placé sur le point le plus haut du campus…
         - Cowabunga, confirme Oncle Dan.
         - Exactement : allons visiter le gymnase ! »   

Alors que je m’apprête à descendre la façade en rappel, j’entends mon tonton pousser un hurlement : « COWAAAAABUNGAAAAA ! » Ce couillon se serait-il encore pris le prépuce dans un clou rouillé, ou bien planté une écharde dans les burnes ? Pire que ça… Je me retourne et découvre le cauchemar ultime de tout homme normalement constitué : une tête de Reaper encore active, sans doute cachée dans un coin de la classe, a roulé sournoisement jusqu’à l’entrejambe de mon oncle accaparé par son festin, et en a profité pour lui croquer la queue ! Fou de douleur, le pauvre danse la gigue et martèle le crâne de l’agresseur, mais le Faucheur ne veut pas lâcher sa proie. Je me précipite à sa rescousse et tente d’écarter les mâchoires crispées de l’ennemi… Autant essayer d’ouvrir la gueule d’un dogue allemand contre sa volonté ! Le temps m’est compté. Bien entendu, une balle à l’aïoli calmerait la bête, mais j’ai peur de blesser mon oncle dans la manœuvre. Un coup de daïkatana ? N’y pensons pas, Daniel risquerait d’y laisser sa queue…
Et pourtant… L’horreur de la situation me frappe en pleine poire : même si je le délivre, mon cher tonton va se transformer en Faucheur. Il a été mordu. Le virus vampirique va commencer à se répandre dans son organisme d’une seconde à l’autre … Ce n’est pas possible ! Daniel Whistler, mon mentor et ami de toujours… Daniel Whistler, ancien équipier de mon père, blessé à la tête en essayant de l’arracher des griffes des Reapers… Daniel Whistler, miraculeusement revenu à lui après deux ans de coma… Daniel Whistler, mon supérieur et lieutenant, ma seule famille, mon âme…
Pas le choix. L’impitoyable solution finit par s’imposer à moi. Il n’existe qu’un moyen en ce monde d’empêcher le Lieutenant Dan de sombrer dans la Nuit : couper le membre contaminé avant que l’infection ne se propage.
J’empoigne le sabre japonais et tranche sa verge à la base. Tonton s’évanouit sur le champ, sans même un petit « cowabunga », alors que son artère pénienne pisse par saccade. Je dégage la tête du Faucheur vorace par la fenêtre d’un shoot puissant (« Essai transformé ! »), puis m’occupe de comprimer la plaie de l’amputé. 
          « Couillon, murmuré-je à son oreille d’une voix gorgée de sanglots, je t’avais pourtant dit d’enfiler un futal… »



Il paraît que lorsque quelqu'un est décapité, il conserve ses facultés mentales durant un court instant, le temps que le sang qui irriguait son cerveau ne se soit pas encore tout à fait échappé des veines sectionnées. Fait établi pour certains, foutaises pour d'autres.
Un reaper vous confirmera la véracité de cette théorie. Un reaper dont la tête vient de valdinguer à travers la fenêtre, entaillée au passage sur les joues et le front par le verre resté collé au bois. La vingtaine de mètres le séparant du sol lui permet quelque instant de répit aussi se dépêche-t-il de mâchouiller goulument le pénis d'humain qu'il vient de croquer et déjà à moitié ingéré puisque le gland pointe le bout de son nez au niveau de la gorge de la créature.
Cinq mètres, quatre, trois, deux, un… vlan ! La tête heurte le macadam de la cour principale du lycée et la caboche du reaper à moitié éclatée par le choc régurgite la verge turgescente qui effectue un triple salto avant d'atterrir sur l'épaule droite du Harvester, le chef des reapers. C'est un vampire de grande taille, plutôt maigre et le teint blême. Une sorte d'idéal chez les descendantes de Dracula.
Ce dernier lève les yeux au ciel et balaye le robinet d'amour de Daniel Whistler d'un revers de la main et le ziguigui retombe par terre tandis que la tête défoncée du reaper-soldat essaye avec le muscle d'une oreille valide de se frayer un chemin au milieu des mégots et des bubble gums usagés, afin d'atteindre son repas lorsque le Harvester baisse les yeux et l'observe presque avec curiosité :
-Mais qu'est ce que c'est que cette tête de bite ?!! dit-il d'une façon plus dédaigneuse que réellement interrogative.
Son second, ou plutôt sa seconde, une reaper nommée Clarisse au visage maculé du sang d'une victime mais dont l'apparence laisse néanmoins deviner qu'elle sait prendre soin de sa personne, utilise ses spartiates anti-gravité afin de se rendre au plus vite aux côtés de son maître, ou plutôt de son employeur car on n'a rien sans rien chez les vampires, et constate les faits.
-C'est une tête. Une tête sans son corps.
-Non, sans déconner ?! répond narquoisement le Harvester. J'avais pas deviné. Parce que bon, vu comme ça, on aurait dit une tête. Mais sans son corps.
-Monsieur est trop drôle ! Je...
- Arrêtez de me lécher le cul, Clarisse ! Par contre, vous feriez bien de bouger le vôtre, parce qu'on est en retard dans les livraisons et ça va carillonner sec dans les jours à venir si on ramène pas du matos de qualité. Et evitez les en-cas pendant le boulot, tant qu'à faire. Il se passe la main sur le visage afin de signifier à la reaper qu'elle est couverte d'hémoglobine.
-J'entends bien, j'entends bien, s'excuse-t-elle tout en se nettoyant avec la manche de sa veste. Mais faut dire que c'est pas évident non plus avec les gars du F.I.O.N. toujours dans nos pattes. A croire qu'ils ont une taupe ou je sais pas ! répond Clarisse, un peu gênée que les choses ne tournent pas comme elle l'avait prévu. Mais cela ne rassure pas du tout le Harvester.
-Une taupe ?! Ouais ben je sais dans quel trou je vais la foutre une fois que je l'aurais trouvée celle-là. En attendant ça serait peut-être bien qu'on avance un peu.
Il regarde autour de lui et aperçoit une horde de rippers en cage, déjà occupés à s'entre-dévorer. Les rippers sont des vampires autrefois humains mais dont la mutation s'est mal passée, les transformant en créatures bêtes comme un verre à pied mais très agressives. Le visage du Harvester s'illumine :
-Mais bordel ! On a qu'à envoyer les rippers ! En v'la une idée qu'elle est bonne ! En deux temps-trois mouvements c'est torché.
Clarisse s'interroge : Les reapers ! Mais Monsieur, c'est pas vraiment notre boulot.
-Tsss tsss ! S'agace le Harvester. Les Riiiippers, pas les reeeeapers ! C'est subtil. Et puis si ça suffit pas, on sort le portefeuille et on envoie Éloïse.
L'assistante du Harvester lève les yeux au ciel au moment où son patron prononce le nom d'Eloïse.
-Mais chef, cette garce demande qu'on lui double son salaire en cas d'intervention. Et je vous rappelle qu'on nous a demandé, en hauts lieux, de freiner sur les dépenses.
-Certes, certes. Mais on a aussi demandé en hauts lieux de faire du chiffre et de trouver de la bonne becquetance. Et je vous prie de croire si j'ai encore un minimum de crédibilité à vos yeux que là-dedans, il y a du matériel humain de premier choix, c'est le Hédiard de la communauté vampirique ici, dit-il en désignant le lycée. Pas le döner du coin !

Clarisse hoche la tête et s’apprête à s’exécuter mais le Harvester la retient d'un mouvement de doigt (oui, le Harvester est télékinesique).
-Vous savez qui il y a là-haut, du F.I.O.N. ?
-Dante et Whistler, Monsieur. Et on en est pas encore certain mais il est possible qu'Hannah soit dans les parages aussi.
-Hé bé ! se gausse-t-il les yeux ironiquement écarquillés. On a du beau monde par ici. C'est déjà pas mal, Joe Dante. Mais c'est pire, Hannah. C'est l'occasion de se débarrasser de ces casse-goules pour de bon. Bon, envoyez-moi les riiiippers (il insiste sur le i), et tant qu'à faire payez Eloïse ce qu'il faudra tant qu'elle élimine ces enfoirés. Et dites-lui de faire souffrir ce salaud, je veux que Joe Dante meurt dans un hurlement. Et tant qu'à faire, prévenez le mécano de monter la tempé du générateur d'ombres, parce que bon, on se les caille ici quand même.

Soudain, un vampire est projeté d'une fenêtre du dernier étage du bâtiment au pied duquel se trouve le Harvester et Clarisse. Il est en flammes, une vraie torche vampire et pousse des cris de douleur tout en essayant de s'envoler.

-Eh ben lui au moins il a pas froid ! s'amuse Éloïse, qui se tient les bras croisés derrière eux.
-Vous êtes déjà là ?! lui dit, surpris, le harvester.
-J'arrive dés qu'on parle de moi. Surtout en mal, répond la reaper freelance en jetant un regard noir à Clarisse qui baisse les yeux car Éloïse l'impressionne tout de même. Elle quitte l'endroit en accélérant la glisse, se prenant au passage une remarque de la vampire sarcastique :
-Superbes, vos chaussures ! Du moins dans la collection d'il y a deux ans !
-Bon ! C'est pas que je voudrais vous presser mais ce serait bien de vous dépêcher un peu. Vos tarifs seront les nôtres. C'est pour ça que vous êtes là alors au boulot. Mais attention au sabre de ce salopard du F.I.O.N. Méfiez-vous du pic de Dante !
Le harvester frappe dans ses mains et invite Eloïse à se mettre à la tâche. Celle-ci s’exécute non sans faire tournoyer ses deux sabres dans l'air, dans une attitude de poseuse qui agace le chef des opérations.  
-Ne vous faites pas de souci pour Dante ! Ce diable pourrait bien pleurer. Envoie la mercenaire avant de s'envoler vers le toit du bâtiment. Et préparez votre chéquier, Ofsorreaux ! lui hurle-t-elle dans un claquement d'ailes, laissant le harvester droit comme un i devant un lycée en flammes où la mort et la souffrance clâment leur dû.

Les battants de la porte du gymnase ne résistent pas à un bon coup de pied. Et j'entre à l'intérieur avec cet imbécile de Whistler en larmes, qui se tient les couilles d'une main comme si de toute façon elles allaient encore lui servir à quelque chose.
C'est le bordel là-dedans : des pom-pom girls, où devrais-je dire des pompe-pompe girls si j'en réfère aux talents buccaux de certaines de ces miss pas bien farouches, s’époumonent tout en essayant d'échapper à une bande de rippers qui doivent pas être là depuis bien longtemps. Putain, j'ai même pas le temps de penser qu'un de ces enfoirés fonce sur moi et tonton. Et le gros me gène, pas le temps de prendre mon flingue. On est mal, très mal et...

Le ripper est arrêté net dans sa tentative de sauter sur Dante et Whistler par une soudaine explosion de tête. Son corps s'affale sur la gomme du sol de la salle de sports en flammes. Et c'est d'entre-elles qu'apparaît une déesse au corps de rève, aux yeux de braises, vêtue comme une cheerleader avec deux énormes Desert Eagle Calibre 50 hypertrophiés à la place des pompons, tandis que les hauts-parleurs du gymnase braillent un Enter Sandman des quatre cavaliers de l'apocalypse du hard-rock, l'hymne de l'équipe de basket du bahut.
Hannah !
-Alors Joe Dante ! Qu'elle me dit. On joue aux p'tits soldats ? Elle me montre une porte qui amène direct à la cafèt'.  Suis-moi Dante, l'aventure est à l'intérieur. 



Hannah !
Mon amour, ma reine, ma déesse, mon ange. Les qualificatifs manquent. Enfin... Rajoutez-leur le préfixe ex. A trop faire le con, j'ai perdu la seule personne à laquelle je tenais. C'est la seule minette qui me tienne tête, la seule à qui je n'ose pas/plus envoyer des vannes bien grasses, qui font pourtant ma réputation depuis que j'ai 7 ans ! Et c'est la seule qui assure au pieu, qu'il soit dans une chambre ou dans le cœur des créatures qui empoisonnent ma vie/ville.. Elle est là. Malgré tout ce qu'il s'est passé, elle est là. Toujours autant belle et sexy. Et la voir, maintenant, dans cette tenue, en train de buter du ripper, je suis à la limite de l'orgasme. Non mais regardez la courir ! Regardez ses seins moulés par son haut trop serré ! Regardez sa jupe, ras la salle de jeux, qui dévoile une petite culotte immaculée dès qu'elle met un pied devant l'autre.. Même mon oncle, malgré la douleur et l'humiliation, la scrute avec un œil lubrique. Il aurait encore sa bite, sûr qu'il banderait. Mais pour l'heure, il essaie de ne pas tomber raide mort et murmure un faible « cowabunga » qui en dit long. T'inquiète Tonton, on va trouver un moyen de te sauver. Hannah est là, on n'a plus rien à craindre.  Mon amour, ma reine, ma déesse, mon ange.

Hannah, un flingue dans chaque main, annihile tout sur son passage. Une balle, un ripper, une balle, un ripper, une balle, deux rippers. Le couloir menant à la cafèt' n'en finit pas. Plus on avance et plus il y a d engeances autour de nous. Ils arrivent de tous les côtés et je ne peux même pas aider ma demoiselle. J'aimerais ne pas passer pour un faible devant elle, mais comment faire sans flingues ? Alors je tente juste de ne pas me faire mordre. Je continue à claudiquer avec pour mission la porte. Pas facile lorsque l'on sent que les rippers fondent sur nous telles des harpies. J'entends leurs hurlements de douleur, leurs mâchoires qui tentent désespérément de mordre avant de rendre l'ultime souffle, les griffes, les ailes. Mais je ne les vois pas. Je veux atteindre cette putain de porte avant que Tonton ne crève. Je n'ai qu'elle dans mon champ de vision. Et Hannah. Lorsqu'elle tue, son aura grandit. Un sourire immense illumine son visage. Elle aime ça. Elle aime les tuer. Elle aime lorsque le Mal est détruit.

Puis soudain, nous entrons dans la cafétéria. La beauté qui me précède stoppe sa course si brusquement que je lui rentre dedans. Avec Tonton à moitié dans les vapes, agrippé à mon épaule, je n'arrive pas à me stabiliser, chancelle, et nous tombons à ses pieds. Hannah, impassible et toujours debout, regarde tout autour d'elle. Des créatures. Elles sont partout. Sur et sous les tables, les chaises, derrière les comptoirs, rampant sur le sol, sur le plafond... Les murs à la base jaunâtres sont recouverts de rippers. Et le soleil qui ne veut toujours pas revenir. Nous sommes trois face à la plus grande concentration de créatures démoniaques qu'il puisse y avoir sur cette planète. Un trou noir. Voilà à quoi ça me fait penser. Nous sommes plantés là, face à un trou noir. Putain ! Je ne veux pas crever dans un réfectoire. Je lève les yeux vers ma dulcinée. Ex dulcinée.

Tranquillement, elle recharge ses deux flingues sans quitter cette masse grouillante du regard. Hannah sait qu'ils vont fondre sur nous dès qu'elle n'aura plus de balles. Alors à quoi cela pourrait-il servir de se précipiter ? Elle peut en dégommer quelques-uns, mais pas tous. Et ça, tout le monde dans cette pièce l'a compris. Et ça en fait du monde, croyez moi. J'entends quelques ricanements. C'est ça, riez raclures. On va peut-être crever, mais on mourra en héros. Une voix s'élève soudain. Et, comme si elle avait deviné nos pensées hurle : « Bientôt vous rejoindrez nos rangs ! ». Merde. Sur le coup je n'avais pas pensé à ce détail. Plutôt périr en être humain que vivre comme ça. Me gaver de sang, très peu pour moi.

Alors que je commence à penser à la vie après la mort, et au fait que je ne saurais peut-être jamais si les 9 cercles du paradis existent, Hannah hurle : « FERMEZ LES YEUX ! ». Pas le moment de réfléchir. Je plaque le visage de Tonton sur le sol, et exécute l'ordre donné par mon ange. Si je ne vois rien, je peux quand même sentir et entendre. Et bon dieu, quelle odeur pestilentielle. Une odeur de cramé, de chairs en décomposition, de mort, qui me prend à la gorge. Les cris de douleur, les hurlements d'agonie se font échos. On se croirait en enfer. Je me doute que les bruits sourds sont ceux de corps tombant sur le carrelage. Pourtant, je n'entends aucun coup de feu. Bordel, qu'est-ce qu'il se passe ?

« Tu peux ouvrir les yeux »

Tout est blanc autour de moi. Je suis mort ? On m'a toujours dit qu'avant de passer dans l'outre-monde, il y a une lumière blanche qui nous enveloppe. Une lumière apaisante. Je baisse les yeux et vois Tonton toujours plaqué contre le sol, grimaçant de douleur. Puis le voile se lève. Et plus il se lève, et plus je commence à comprendre qu'il s'agit d'une aile. Une aile qui bizarrement a pour propriétaire la seule femme qui trouve grâce à mes yeux. Hannah. Mon ange.


« C’était quoi ça ? » que je me suis dis en me relevant sur un monticule de cadavres. L’explosion venait du bâtiment en face de moi, bâtiment qui n’est plus qu’un tas de gravats visiblement. En allant y fouiller, je découvre mon ami Whistler assis sur le sol, la tête basse.

«Cowabunga » me dit-il avec les larmes aux yeux et me montrant la flaque de sang devant lui.
- Il savait ce qu’il risquait en faisant ce métier ! répliqué-je en haussant les épaules.
- Cowwabungaaa ! dit-il en tapant le sol de rage avec son poing et me montrant de l’index.
- Ouais, ouais… Si tu veux…
- Cowabunga…
- Ouais, s’il voyait des anges… Bon, c’est pas le tout, mais ça serait bien si on dégageait fissa d’ici ! »

Je l’aide à se relever. En le regardant de face, on ne dirait pas qu’il vient de survivre à une explosion : aucune blessure, vêtements propres sans trace de sang excepté dans son dos (les restes de Joe). Lui-même s’en rend compte en palpant ses parties génitales.
« COWABUNGA, YOUHOUUUUU !! » Le mec est en joie, c’est le plus beau jour de sa vie on dirait… Pathétique.

Soudain, je vois Martine, la secrétaire avec la verrue sur la joue, courir vers nous en hurlant quelque chose comme « ONEOUSURVOUINTOUSSELARMEY ». Enfin, de loin, ça donne ça hein ! De près, j’en saurai jamais rien car elle se fait fusiller à mi-chemin. Head-shot !

« Cowabunga ! » C’est exactement ça, faut se casser, l’Armée est là.
Donc, on se met à courir à l’opposé de l’Armée, mais je me rends compte qu’ils sont en train de faire une manœuvre d’encerclement afin d’isoler ce complexe universitaire. Bon, c’est mal parti…

 « Cowabunga ? 
- Ouais mais où ?
- Cowabunga !
- N’importe quoi ! C’est pas avec deux pelles et un couteau suisse qu’on va réussir à s’en sortir !
- Cowabunga !
- On se calme, papy ! Trouve autre chose… Bordel, j’aurais dû prendre une carte de ce lieu… »

« COWABUNGA ! » Il me montre un type qui est en train de baiser un cadavre et se met à courir vers lui… En nous rapprochant de lui, je me rappelle qui il est. C’est Le Bûcheron. Un ami de Whistler. Du moins, c’est le seul que Le Bûcheron n’a jamais essayé de tuer chez les F.I.O.N. J’espère que ça comptera que je n’appartienne pas à cette équipe de trous-du-cul.

Le mec n’est nullement dérangé (façon de parler !) par notre présence. Il continue son affaire. En regardant bien, je me rends compte que ce que je prenais pour un cadavre, c’était en fait une Reaper en train de jouir. En tout cas, ça met fin à mon interrogation sur la possibilité de copuler avec des Reapers, interrogation né de rumeurs de couples humains/reaper qui existeraient ici et là, dans ce qui reste de la France, et qui engendreraient une descendance.

Le Bûcheron se retire enfin de la demoiselle en n’ayant pas oublié de lui asperger son visage de son sperme. La Reaper, contente, se relève et s’évapore. Pschitt ! Putain, les Reapers ont des pouvoirs magiques… Tu m’étonnes qu’on perde la guerre, c’est pas les mêmes moyens qu’ils ont en face !

L’Armée a quasiment circonscrit le campus scientifique. J’entends des coups de feu. Les types nettoient. Le Bûcheron, du haut des ses 2m40, hume l’air en direction du Sud et se met à courir vers le Nord. On le suit. Il a une démarche de gorille, je commence à me marrer. Whistler me fait les gros yeux, je me tais.   

On entre dans un bâtiment et on file dans le sous-sol. Il fait tout noir. Il y a une odeur de viande brûlée en fond. Le Bûcheron arrive à se repérer, tout comme Whistler. Moi, bon dernier, j’ai du mal à les suivre. Je les entends s’éloigner de plus en plus de moi. Il est  interminable ce couloir, putain ! Comme je commence à doucement paniquer, je me dis « pas penser ! pas penser ! pas penser ! » et je fonce tout droit. Je les entends plus ! « Vous êtes où, bordel ? » crié-je. J’entends des craquements autour de moi. J’accélère le pas. Je suis déjà hors d’haleine. Ca craque de plus en plus fort. CRAC ! Et soudain le vide…   
                                                        
La clavicule brisée, son corps s'effondra sur le parquet telle une marionnette dont on a coupé les fils.
« Oups ! Je crois que j'ai cassé du F.I.O.N. », remarqua l'angélique meurtrière sans une once de culpabilité dans la voix.
-Hannah ! Mais qu'est ce que t'as foutu ?! C'était l'un des nôtres !
-Rectification, Joe : C'était l'un des vôtres. J'y peux rien s'il fait aussi sombre dans ce couloir, qui plus est il empestait le cadavre.
- Bah maintenant, c'est naturel ! Hé, mais attends...
Joe Dante, notre increvable héros, s'approcha des restes de feu son collègue et le retourna.
« Ouf ! Ce n'est que Bill de la compta. Tous les mecs du F.I.O.N te le diront, ce mec était un sacré trou du cul. Ennuyeux à crever et mythomane compulsif. Je me rappelle qu'une fois, il nous avait bassiné comme quoi il s'était marié à Vegas avec Madonna, un soir de beuverie. Évidemment, elle avait rompu le pacte le lendemain, une fois désaoulée, parce que selon  ses dires c'était une gouine qui ne s'assume pas, et... 
-Je m'en fous, Joe.
- Non mais, t'inquiète. C'est limite un service à la communauté que tu viens de faire. On aura qu'à dire que ce sont les Reapers qui ont fait le coup. On ramène les cendres d'une de ces saloperies ici et on...
- Je m'en fous ! Mon statut m'autorise à éliminer quiconque se met en travers de mon chemin. Je n'ai pas besoin de ton aide, Joe. »
Ciel, qu'elle était devenue arrogante. Joe fondait toujours comme neige au soleil face à ses courbes affolantes et son joli minois, mais cela ne l'empêchait pas de rêver lui mettre un aller-retour pour la faire redescendre sur Terre. Malheureusement, ancien amant ou pas, il ne pouvait s'y risquer sous peine de finir dans le même état qu'un raton-laveur sur l'autoroute un jour de départ en vacances. Hannah était déjà balèze à l'époque, l'employée du mois douze fois par an, le haut du panier, le nec plus ultra, mais depuis son stage intensif au Vatican elle ne rentrait plus dans aucune grille d'évaluation. Ils l'avaient fait passer au stade supérieur, et firent de même avec le reste de l'élite de l' organisation. Dorénavant, ils étaient des séraphins, créatures touchant du doigt le divin dont les ailes majestueuses leur donnaient la faculté, tels des pigeons, de chier sur les cranes de leurs anciens collègues.
« Cowabunga ! »
Cela provenait du fond du couloir. Très vite, deux mastodontes à la démarche simiesque apparurent, Whistley aka Tonton accompagné de celui que l'on surnommait le Boucher, sept ans d'âge mental à eux deux. En les voyant côte à côte, Joe se mit à penser aux cartoons devant lesquels il laissait régulièrement son oncle à l'heure du goûter. Quand les personnages de ces dessins animés se retrouvaient face à un choix moral, un ange et un diablotin apparaissaient au dessus de leur tête pour débattre de la marche à suivre. Whistley était candide et inoffensif du moment que vous n'étiez pas un suceur de sang ou un postier. La perte de ses attributs masculins soulignait son innocence juvénile. Le Boucher, par contre, aurait mérité une castration depuis bien longtemps. Il n'était que vice et dépravation, de ceux qui prennent leur pied devant le spectacle d'une garderie en flammes. Heureusement, sa très faible intelligence l'empêchait de concevoir de tels plans démoniaques, le reléguant au niveau d'un simple chien en chaleur.
Accélérant le pas, les larmes aux yeux, Tonton Whistley s’apprêtait à sauter dans les bras de son neveu tel un gosse perdu dans un supermarché qui retrouve sa mère, mais il s'arrêta lorsque son regard bifurqua sur le cadavre à ses pieds. Il se retourna à nouveau vers Joe, l'incompréhension et la tristesse venaient de remplacer la joie des retrouvailles dans ses yeux.
« Ah non, Tonton, tu ne vas pas te mettre à chialer ! Fallait y penser avant de recueillir le premier péquenaud venu atteint de folie des grandeurs. Bill de la compta, merde ! Bill de la compta ! Qu'est ce qui t'es passé par la tête ? Pourquoi t'es pas allé voir l'agent d'entretien pendant que t'y étais ? Je suis sur que lui aussi adorerait jouer les héros entre deux nettoyages de chiottes ! A chaque fois tu me fais le coup, dès que j'ai le dos tourné... »
Trop tard, les valves étaient ouvertes. Les larmes dégoulinaient sur son visage et ses lèvres tremblaient comme un vieux moteur pétaradant. Joe se dit qu'ils iraient manger une glace une fois que tout ceci serait fini, mais qu'en cet instant il ne pouvait pas se permettre d'avoir son oncle en mode Liza Minnelli dans les pattes.
« Calme toi, Tonton. C'est pas ce que je voulais dire, ce n'est pas ta faute, je ne voulais pas... Mais j'avais demandé au Boucher de te surveiller, et... »
Tout en gémissant, le Tonton rétorqua : « Cowabunga, Cowa Cowa Bun Bun Ga !
- Il a fait quoi ?! Encore ?!!! Nom de Dieu, Boucher ! Je croyais qu'on t'avais dit d'arrêter de faire ça ! C'est du viol, merde ! Morte ou pas, ça reste un viol ! A tous les coups, elle était mineure en plus ! »
Le Boucher leva lentement sa tête en direction de Joe et émit un « Groumph... » pour sa défense.
« T'es vraiment le plus pourri du F.I.O.N. », lui répondit Joe avant de se retourner, un sourire crétin aux lèvres, vers Hannah. Celle-ci se tapa le front pour exprimer sa consternation.
Quelque chose vrombit dans la poche de Joe. Un téléphone portable. Il prit ce bijou de la technologie, symbole de 300 000 ans d'évolution, et la colla à son oreille.
« Allo, Joe ? Oui, c'est Paul à l'appareil. Hmmm...Comment dire... Les mecs et moi on capte plus grand chose là. Tout le monde te croyait mort, ici à la base. On a entendu un type bizarre, puis plus rien. T'as toujours le contrôle de la mission ? 
- Ouais, ouais, t' inquiète. J'ai dû faire tomber mon capteur de monologue intérieur et Bill a dû le ramasser. […] Ouais, celui de la compta... […] Madonna, tout à fait.[...] Oh, je ne m'inquièterais pas trop pour lui si j'étais vous.[...] 21h la soirée Poker chez Dylan, ça marche. [...] Ok, je vais arranger ça. Désolé pour le dérangement. Tchao ! »
Le téléphone à peine raccroché, Joe s'approcha du cadavre et se mit à le fouiller.
« Ah ! Te voilà ! », dit il en arrachant ce qui ressemblait à un point de beauté avant de se le coller sur la tempe gauche.
« Tu devrais faire un test. » lui dit Hannah qui commençait à faire les cents pas.
« Ok. C'est parti ! », répondit Joe.
Je suis Joe Dante, le mec le plus cool de la planète. 1, 2, 1, 2, 1, 2, 1, 2, 1, 2. Hannah, t'es top bonnasse ! T'entends ! Héhoooooo ! Test ! Test ! Test ! Si ma tante en avait ce serait mon oncle. Mon oncle n'en a plus c'est donc ma tante. Over. Over. Lalalalalalalaaaa.
« Ca fonctionne ? », me demande Hannah.
« On dirait bien, ouais. »
J'adore ce gadget. Sans lui, je ne serais plus vraiment le héros de cette histoire. Bon, maintenant que tout est revenu à la normale, passons aux choses sérieuses. Tiens, Hanna me fait de drôles de signes. Elle pointe du doigt derrière moi, je me retourne et découvre le Boucher  agenouillé devant les restes de Bill. Ou plutôt derrière le corps de Bill, vu ce qu'il est en train de faire.
« Tu ne compte rien faire ? C'est dégoutant. », me lance-t-elle en grimaçant. Ses grimaces valent les plus beaux sourires de cent autres filles. Comment fait-elle pour rester aussi sexy quoiqu'elle fasse ? Les mecs du Vatican ont dû se la prendre et se la mordre en la voyant, ou alors les gosses du coin ont dû morfler plus que de raison pour compenser leur frustration.
«Ne t'en fais pas, ma belle. Bill connaissait les risques du métier. Vas y, Boucher, amuse toi bien ! »
Je me force à rester stoïque, mais intérieurement je suis mort de rire. Si seulement les mecs de la base pouvaient voir ça. Pauvre Bill, ça doit te rappeler Vegas...
Alors que je me réjouis de ce spectacle fort amusant, des bruits de pas...non...de chaussures à talons, s'approchent de nous.
« Je savais bien que ça sentait le F.I.O.N. Ici ! » dit une mystérieuse voix féminine.
« Eloïse ! » s'écrie Hannah.
Eloïse ? L'agent spécial des Reapers ? Sérieux ?! Moi qui m'attendait à une nana avec un physique de gymnaste ukrainien... Wow ! En réalité, c'est un sacré petit lot ! Dommage qu'elle soit morte.
Ne pensant qu'à la mission, je leur demande si elles comptent se battre. Hannah me demande si le pape est catholique. Je lui demande si c'est comme le chat d'Heisenhower. Elle se tape le front et me répond que c'est le chat de Schrödinger. Je lui dis que si le pape est dans une boîte, il est à la fois catholique et non catholique. Elle se retape le front. Je lui demande si j'ai dit une connerie. Elle me répond qu'elles vont se battre. Bref, je suis super content. Eloïse fixe mon ancienne maîtresse et lui sort :
« Je constate que la nourriture du Vatican est riche en matière grasse, Hannah. Tu sais, si tu voulais te modeler un aussi gros cul, il suffisait de manger du beurre en bâtonnet pendant deux mois. Pas besoin d'aller en Italie pour ça, ma puce. Les ailes c'est pour planer comme les poules ?
- Des attaques sur le physique, comme c'est original. Et toi, Eloïse, pourquoi ces lunettes ? On sait tous que ton état vampirique t'épargne les problèmes de vue. Ton patron apprécie le look bibliothécaire ?
- Hahahaha ! Au fait, sympa ton petit groupe. Un toutou à la gueule de minet, un gros lard cul-nu qui doit être plus vieux que moi malgré mon immortalité, et une chose répugnante qui...encule un cadavre... Joli tableau ! Il serait temps de passer un coup de balai dans le F.I.O.N. »
Hannah frappe à nouveau son front. C'est vrai que ce dernier trait d'esprit était vraiment tiré par les cheveux. Anticipant le concours de « Ta mère... », je pointe mon arme sur la diabolique et non moins charmante Eloïse.
« Allons, allons... Votre manque de goût n'a-t-il point de limite ? On ne peut pas faire cela dans un couloir, ce serait pêché. Toi et moi sur le terrain de basket, qu'est ce que tu en dis ? », propose la vampire.
« J'accepte », répond Hannah.
Oh oui ! Elles vont se foutre sur la gueule ! La blonde contre la brune. Deux déesses aux corps de rêves se frottant l'une à l'autre, leurs tétons durcis par l’adrénaline voulant transpercer leurs combinaisons de cuir intégrale, leurs petits culs parfaitement arrondis se remuant au rythme de leurs courbes sous l'étreinte passionnée du combat, leurs longues chevelures tirées dans un râle de plaisir et de souffrance, leurs...
« Joe ! Veux tu bien arrêter ça ?! Ton dispositif de monologue intérieur déconne, on entend tout ce que tu pense ! », me crie Hannah.
« C'est quoi son problème ? » demande Eloïse en me dévisageant comme si j'étais un manuel d'assemblage de table basse en japonais.
Oups ! Pas le temps de justifier mon emportement tout ce qu'il y a de plus masculin qu'elles ont déjà disparues dans une traînée de parfum. Les défuntes qui restent coquettes et féminines, j'aime ça.
« Cowabunga ? », me demande Tonton.
« Évidemment qu'on les suit ! Je ne voudrais louper ça pour rien au monde ! Enfin, je veux dire... Hannah pourrait avoir besoin de notre aide. »
Direction le terrain de basket.


Durant le trajet, je me remémore le bon vieux temps...

Hannah et moi, c’était une putain de belle histoire d’amour !
Quand je l’ai pécho, elle n’était pas encore la bête de travail surdouée qu’elle est devenue. C’était une petite stagiaire innocente et naïve, en robe et socquettes blanches, tout juste sortie de la moule de sa mère ; certes plus vierge, XXIème siècle oblige, mais encore verte et craquante, comme un jouet fraîchement déballé. Le hasard a voulu qu’elle atterrisse dans mon service : « Pénétration des rangs ennemis ». On a tout de suite accroché… Malgré nos 10 piges de différence, j’ai réussi à lui faire croire qu’on avait le même âge – j’ai jamais autant béni ma gueule d’éternel ado – et je lui ai sorti la panoplie du « petit bleu timide et maladroit ». Trop heureuse de pouvoir jouer à la maman (« mais non, moi je te trouve pas si nul, Joe ! »), la belle est tombée dans le panneau : en moins d’une semaine, elle me donnait le sein et prenait mon thermomètre dans sa bouche ! Bon, pour rester dans mon rôle, il m’a aussi fallu faire des sacrifices : j’ai eu droit à mon lot de concerts de Lara Fabian et de soirées télé devant la Star Ac’, des trucs de son âge quoi, mais le jeu en valait la chandelle… De toutes mes conquêtes, et Dieu sait s’il y en a eu un paquet (humaines ou surnaturelles), Hannah est la seule à mériter mon « label rouge » personnel !

« On entend toujours tes pensées, Joe, m’informe mon ex-amante d’un ton cassant. Mais je suis heureuse d’apprendre que pour toi je n’étais qu’un sac à viande. 
- Meuh non, heu, roooh, tu dramatises toujours… » protesté-je. Tonton et le Bûcheron se marrent comme des collégiens, Eloïse lève un sourcil. D’une claque sur la tempe, je désactive le mode « haut-parleur » de mon capteur de monologue intérieur. Enfin un peu d’intimité, bordel !

Où j’en étais ? Ah oui, Hannah au pieu…  Il me vient une gaule d’Enfer quand je repense à la première fois où elle a fait sauter son soutif. Des obus pareils braqués sur le Moyen-Orient, ça donnerait envie aux talibans de tenir autre chose qu’une kalachnikov entre leurs mains. Et ses tétons de Vénus de marbre, se dressant au moindre effleurement… Et ses alvéoles, gonflées et soyeuses… Et la courbe de ses reins, à redonner la trique à un paralytique… Et sa vulve délicate et toujours humide, au goût de beurre salé… Tiens, d’ailleurs un truc me revient. Marrant comme on oublie certains détails avec le temps… Quand Hannah jouissait (et étant orgasmique elle jouissait souvent), son vagin émettait de petits pets, « prout prout prout », qui la faisaient rougir terriblement, alors que moi j’adorais ça, je trouvais ça mignon – du coup une seconde plus tard, j’envoyais la sauce. Un autre putain de bon souvenir : pendant les levrettes, Hannah aimait bien que je lui taquine le…
                  
Ici le F.I.O.N, Agent Dante. Lieutenant McGuffin à l’appareil, nous émettons directement en intra-cérébral via votre capteur de monologue. Excusez-moi d’interrompre le fil de vos pensées, mais votre enregistreur envoie sur nos moniteurs des flashback visuels de votre histoire commune avec l’Agent Barbera. Déjà que mes gars ont du mal à bosser, ça ne les aide pas beaucoup…  Je vous saurais gré de diriger vos pensées vers des choses moins agréables. Dans la mesure du possible. Ayant moi-même travaillé avec l’Agent Barbera, je comprends votre émoi. Fin de la communication. 

Bordel, si on peut même plus fantasmer tranquille…  Et des images de mon abcès anal, vous préférez les gars ? Quoique j’aie encore mieux : la fois où j’ai chopé une MST vampirique, mon gland ressemblait à un chou-fleur et crachotait des glaires sanguinolentes toute la journée. Miam miam, n’est-ce pas ?  

Agent Dante ? Toujours le Lt McGuffin. Un ingénieur vient de rendre son quatre heures sur son modem, aussi nos communications risquent-elles d’être problématiques durant quelques minutes. Excusez-nous du désagrément…

« Vous inquiétez pas les mecs, je gère.  Bonne branlette ! 
- A qui qu’tu causes ? me demande le Bûcheron de sa voix de tronçonneuse rouillée.
- Au F.I.O.N , je lui réponds.
- Ta tête elle est malade ?
- En quelque sorte. »

Bref, Hannah… Comment j’ai pu quitter une affaire pareille ? Ben c’est elle qui m’a plaqué ! J’étais soi-disant trop immature, « trop foufou » pour reprendre ses mots, avec une tendance contrariante à aller tremper ma queue dans le premier trou humide venu – mais est-ce de ma faute si je suis un bogoss ? Pour « passer à autre chose », Hannah s’est envoyé ce vieux croûton de Monseigneur Van Helsing le soir même de notre séparation. Le lendemain, il fallait voir ce cul-béni fanfaronner dans les couloirs du F.I.O.N avec son air d’évangéliste qui vient de réussir une conversion. Heureusement, leur aventure a été de courte durée, et grâce à moi (Hannah continuait à me confier sa vie) tout le F.I.O.N a su qu’il bandait mou – ça lui a arraché illico son putain de sourire de la gueule. Se taper cette antiquité de Van Helsing, putain, et pourquoi pas Bill de la Compta tant qu’elle y était ?

Hannah et Eloïse en tête, nous traversons la cour de récré au galop. Tonton, le Bûcheron et moi peinons à suivre les gonzesses, qui trottinent comme au premier jour des soldes.
« Dis-donc, tu marches sacrément vite pour quelqu’un qui porte des talons aiguilles ! » lancé-je à Eloïse, l’Agent Spécial des Reapers.  C’est pas parce qu’on est ennemis qu’on peut pas déconner… Cela dit la demoiselle ne devait pas être une grande rigolote de son vivant : de son regard de poisson mort, elle me signifie une nouvelle fois son mépris. J’ai baisé des cadavres moins froids que cette garce… Sa chatte doit être un véritable distributeur à glaçons.
« Non mais tu sais, insisté-je, j’ai déjà porté des talons aiguilles, et c’est vachement casse-gueule ! Enfin crois-pas que j’sois un travelo hein, c’était pour une soirée dégui…
- Continue, et ta queue ira rejoindre celle de ton oncle au rayon charcuterie.
- Ah, les bonnes femmes : même mortes vous continuez à être castratrices ! »
Peut-être est-ce un rictus, mais cette fois je crois distinguer l’ombre d’un sourire sur son visage blafard – une fissure sur la banquise. Elles tombent toutes raides dingues de moi, même les mortes !
« Désolé d’interrompre votre flirt, mes chéris, intervient Hannah (que je soupçonne de toujours avoir des sentiments pour moi), mais le terrain de basket est en vue. Et nous ne sommes manifestement pas les seuls à vouloir assister au match ! »
 En effet, autour du stade éclairé par des poubelles en feu, des gradins de fortune ont été installés, grouillant de Reapers, de Riiiiipers (l’équivalent vampirique des trisomiques) et de Reapettes vêtues comme des fans de Twilight ;  l’ambiance a l’air bon enfant, je crois même distinguer des stands de grillades et des vendeurs de pop-corn…  Pas sûr que ces Ordures apprécient de nous voir débarquer au milieu de leur merguez-party.
« Heu… dis-je. Je suis le seul à avoir l’impression de foncer droit dans la gueule du loup, là ?
- On aura tout vu, ricane l’élue de mon cœur : Joe Dante qui chie dans sa culotte ! Suis-moi et laisse Maman parler. »
Quand je vous disais que je faisais vibrer son instinct maternel…
« Nan mais poupée, la raisonné-je, tu sais que je suis le Courage fait chair, mais ils doivent être deux cents… Ils vont nous bouffer tout cru !
- Franchement, Joe, ça me fait de la peine de te rappeler un point aussi basique du règlement… Les Accords de Geneviève, ça ne te dit rien ?
- Ben, heu, j’ai dû sécher la réunion le jour où on en a parlé… »

Agent Dante, ici McGuffin. Passés en l’an de grâce 1363 entre le F.I.O.N et les Ordures de la Nuit, les Accords de Geneviève  stipulent qu’en cas de duel entre un Fonctionnaire Divin de Catégorie A et une Ordure de Premier Ordre, une trêve s’instaure entre les deux partis durant la durée du combat. Autrement dit : Whistler et vous-même allez vous installer gentiment dans les tribunes et suivre le match sans faire de grabuge.
Ouah, comme si c’était notre genre !
Nous ne plaisantons pas, Agent Dante. Ne levez pas le petit doigt sur un Reaper, ou la trêve sera rompue dans la seconde, et la réputation du F.I.O.N  souillée à jamais.
Parce que vous pensez vraiment que les Ordures  vont respecter leurs engagements ?
C’est peu probable, en effet. Restez sur vos gardes.
Génial, les mecs. Je sais pas comment je m’en sortirais sans vous… Et si le Bûcheron commence à enculer tout le monde, je fais quoi ?
Absolument rien, il n’appartient pas au F.I.O.N. Chacun sa merde. Fin de la communication. 

Dans le genre mission suicide, merci du cadeau… M’enfin j’ai l’habitude, c’est même pour ça qu’on me paie – et qu’on m’adule.
L’arrivée au stade me fait revoir mon estimation des rangs ennemis à la hausse : les Faucheurs ne sont pas deux cents, mais trois fois plus ; celles et ceux qui n’ont pas trouvé de place dans les tribunes lévitent allègrement autour du terrain grâce à leurs spartiates anti-gravité. Ce soir, c’est grand soir ! Postés aux grilles, deux énormes videurs aux dents pointues filtrent les entrées et dépouillent les spectateurs de leurs armes. « Mesure de sécurité », qu’ils disent. Forcément, ces gorilles tiquent en nous voyant.
« Qu’est-ce qu’y a mes jolies ? lancé-je avec mon plus beau sourire, la main sur mon Desert Eagle. On n’est pas assez bien sapés pour s’incruster à votre petite soirée privée ? »
Alors que l’un des molosses montre les crocs, Eloïse calme le jeu de sa voix aussi froide que les glaces éternelles : 
« Cool Raoul, ils sont avec moi. Dis à Harvey de ramener ses fesses. 
- Voui M’dame… » répond Raoul le Reaper, tout penaud.
Un dixième de seconde plus tard, un Harvester sapé comme un Maître d’Hôtel se matérialise sous notre nez et nous accueille comme si nous étions de vieux amis.
« Harvey Offsorreaux, pour vous (as)servir. Soyez les bienvenus, nous vous attendions !  M. Dante, M. Whistler, nous vous avons réservé deux places en tribune d’honneur.  Je vous invite à prendre vos aises pendant que ces dames se préparent pour le spectacle. Mais auparavant, je vous demanderai de bien vouloir déposer vos armes dans les bacs prévus à cet effet.
- Je lâcherai mon sabre et mon Desert Eagle chargé à l’aïoli le jour où vous ôterez vos canines et vos griffes.
- Joe ! râle Hannah en me faisant les gros yeux.
- Agent Dante ! me sermonne mentalement le Lt McGuffin.
- Cowabunga ! » ajoute Tonton, emporté par le mouvement.  
Sous la pression générale (ou presque : le Bûcheron s’en branle… littéralement), je finis par déposer les armes. Mon sixième sens me dit que je vais le regretter…
« Parfait ! sourit Harvey. Messieurs, si vous voulez bien vous donner la peine… 
- Ne fais pas de bêtise en mon absence,  me chuchote Hannah, avant de suivre Eloïse vers les vestiaires. 
- Pousse un cri aigu si t’as besoin d’aide ! » je lui fais, histoire de rappeler qui est l’homme. 
La braguette ouverte, le Bûcheron quitte également notre groupe : il part retrouver des Reapettes de sa connaissance, dans des états de putréfaction variablement avancés, et s’empresse de leur rouler des pelles garnies d’asticots tout en pinçant leurs fesses nécrosées. Bras-dessus bras-dessous, ces fous du cul s’enfoncent dans la foule ; quelque chose me dit que ça va ramoner sec en coulisse…
« La buvette est par ici et les casses-croûtes sont par là » nous indique Harvey pendant qu’il nous conduit à nos places, Oncle Dan et moi, sous les regards haineux des supporters vampiriques ; j’ai la désagréable impression  d’être une vierge lâchée au milieu d’une assemblée de taulards. Je peux les comprendre : à un moment ou un autre de ma carrière, j’ai sans doute envoyé l’un de leurs potes en Enfer… Mais à ma grande surprise, les Ordures parviennent à garder leur sang froid – pas difficile, quand on est déjà mort.
« Places 42A et 42B, voici. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n’hésitez pas à me faire signe » précise le Harvester, avant de s’évaporer.  
Il ne s’est pas foutu de notre gueule, le Harvey : nos places ont une vue plongeante sur le terrain, au centre duquel un ring a été dressé. Autour de nous, les Reapers retournent vaquer à leurs occupations, discutant et ricanant entre eux en buvant des pots et fumant des pets. Pour un peu, on se croirait au tournoi de basket de fin d’année – version gore : un monticule de cadavres d’adolescents tient lieu de « buvette » ;  les cornets ne contiennent pas de popcorns, mais des beignets d’yeux humains fourrés au boudin de sang de règles ; quant aux grillades, elles sont constituées de bras, de jambes, de doigts, de ribs et d’abats humains. Et Tonton et moi on est censés rester assis là, sans rien faire ? Putains de monstres sanguinaires, je vais leur faire payer au centup…

Gardez votre calme, Agent Dante. La réussite de cette mission est de la plus haute importance. La victoire de l’Agent Barbera pourrait mettre fin à l’Invasion. Dans le cas contraire, l’Humanité aura besoin de vous pour ne pas sombrer dans les ténèbres.   

Ouais ouais ouais, toujours la même rengaine. Fin du monde, blablabla, Joe Dante l’unique espoir, blablabla… Au bout d’un moment on s’en lasse.
Ignorant sciemment les horreurs alentour, je porte mon regard vers le ring… Le monde vampirique prend également l’évènement très au sérieux : le match est retransmis en direct sur les ondes sous-terraines de Croc-Croc Channel. D’énormes têtes de Reapers volantes, aux yeux rouges globuleux, se chargent de capter les images… Lesquelles sont commentées par le célèbre Blackula, légende de la Nuit à la voix inimitable, aux accents de Louis Armstrong :
« MmmmYeaaaah Baby, le Duel du Bien contre le Mal va bientôt commencer ! Comme vous le savez déjà, une invasion massive du Royaume de France est en cours au lycée Jean-Pierre Putters, et le F.I.O.N tente de la contenir. La tension est à son comble, ça va être chauuuuuuud bouillant ! La suite après une page de publicité. Croc-Croc Channel, la chaîne qui vous occupe de l’aube au crépuscule ! Disponible dans tous les bons caveaux.  
- Oncle Dan, c’est vrai que tu bossais avec Blackula avant qu’il devienne un vampire ? Et c’est vrai qu’il est encore mieux membré que le démon Ixixel ? Oncle Dan ? »
Absorbé par l’agitation d’avant-match, j’ai oublié de surveiller Tonton… Où est-il encore allé se fourrer ? J’espère que, poussé par la faim, il n’a pas ouvert le crâne d’un spectateur pour lui siroter la cervelle – le pauvre n’a jamais supporté l’hypoglycémie. Par chance, il n’est pas parti bien loin : je le retrouve le nez fourré dans un barbecue de chair humaine.  
« Cowabunga ! » me gueule-t-il en m’apercevant. Surexcité, il se trémousse en montrant les
grillades : « Cowabungabungaaaaa ! 
- Purée Tonton, ne bouffe surtout pas ça ! En vrai c’est pas des merguez, c’est des doigts… »
Sourd à mes conseils, il retire l’un des bouts de viande du grill et me l’agite sous le pif.
« Mais c’est dégueulasse, tu vas remettre ça tout de suite où tu l’as trouvé !
- COWABUNGA !  persiste-t-il, CO-WA-BUN-GA ! »  
Et Tonton de coller le morceau de viande roussi sur son moignon de verge et de le secouer tristement. Tout d’un coup je comprends : il ne s’agit pas d’un doigt humain, mais de tout autre chose…
« T’as retrouvé ta saucisse, c’est ça ? Fais voir ça de plus près ? Ah ben oui, c’est bien la tienne, je reconnais les grains de beauté ! Comme quoi j’avais coupé ça proprement hein… Un Reaper gourmand a dû la ramasser et se la réserver pour l’apéro… Bon, elle est un peu cramée, mais un bon chirurgien saura sans doute te la recoller. »
Tout heureux, Tonton se met à sautiller et danser sur place, comme s’il voulait faire venir la pluie. Faut dire que c’est pas tous les jours qu’on sauve sa bite d’un barbecue ! Pour plus de sécurité, il se la coince entre les dents et la garde en bouche, comme un cigare.
« Retournons nous asseoir, le match ne va pas tarder à…
TARATATATAAAAAAA !  »
A l’instant où rugissent les Trompettes de l’Apocalypse, les lumières s’éteignent à l’exception des spots dirigés sur le ring, puis la voix groovy de Blackula se fait entendre : « Cheres Orduuuures, acclamez bien fort les artistes ! Dans le coin gauche, elle porte un bikini noir et des ailes de chauve-souris géantes, elle est née le même jour que Mathusalem et a partagé le tombeau de Vlad l’Empaleur, Lestat le Vampire et Vampirella, elle porte le statut de Grande Prêtresse des Enfers et d’Agent Spécial des Reapers, elle mesure 1m65 pour 52 kg et affiche un ravissant 90B, j’ai nommé : Eloïïïïïïse Nogood ! »
La championne des Forces Du Mal fait son entrée en battant des ailes avec classe, et ma foi, elle donne plutôt envie de se laisser mordre.
« Dans le coin droit, dans un bikini blanc trop petit pour elle assorti à ses ailes de colombe, elle porte le grade de seraphin a seulement 22 ans et fait la fierté du F.I.O.N, elle a été formee par Monseigneur Van Helsing et l’Agent Joe Dante…
- C’est moi ! je gueule à mes voisins, c’est moi !
- Chut, humain, chut !   
… mesurant 1m75 pour 55kg et arborant un estomaquant 95C : la ravissante Hannaaaaaaah Barbera ! »
L’arrivée d’Hannah fait également son petit effet : une rumeur impressionnée parcourt la foule pendant que mon ange se pose avec la délicatesse d’une fée, face à la harpie sexy. Les championnes se toisent du regard ; dans l’air l’électricité est palpable.
« Les combattantes vont maintenant se disputer le choix des armes à pierre-feuille-ciseaux. Nous vous rappelons que l’accompagnement musical de la soirée est assuré par le groupe Les Trompettes de l’Apocalypse, CD en vente dans cette salle. 
- Cowabunga ? me demande Tonton.
- Ouais, si t’es sage je t’achèterai l’album. »
En cet instant crucial du Duel, la salle fait silence – on entend seulement les Reapers voler. Mains sur les hanches, les adversaires se font face comme dans un western. Elles vont dégainer d’une seconde à l’autre. Le suspens est insoutenable...  
Tout va très vite : Eloïse tend son poing serré et dit « pierre », Hannah écarte deux doigts et dit « ciseaux ». Pute borgne, ça commence mal…

Ne paniquez pas, Agent Dante. L’Agent Barbera avait pour consigne de perdre ce duel. Si nos informations sont exactes, Eloïse Nogood va porter son choix sur un artefact de la plus haute importance. Ouvrez bien vos yeux et vos oreilles…

Avec un sourire narquois, la vipérine Eloïse annonce au micro : « Ma chère Hannah, j’ai toujours rêvé de t’entendre gémir…  Pour ce duel, je réclame donc le God’s Gode ! »
Le Gooooooods’Gooooooooode ! » répète Blackula en écho.
Tonton en avale sa queue de surprise (gloups !), tandis que la foule hurle et applaudit à tout rompre ; Hannah, quant à elle, me lance un regard apeuré.
Le God’s Gode, putain, un artefact mythologique plus précieux que le Saint Graal et la culotte de Madonna, taillé par Joseph de Nazareth dans du bois d’olivier, et piqué au Très-Haut par Satan lui-même durant les vacances de Pâques. Mon père l’a recherché toute sa vie, en vain… Et il était justement sur sa piste lorsqu’il a été assassiné. 

Agent Dante ? Nous espérions que les Ordures de la Nuit abattent leur carte maîtresse ! Vous connaissez désormais le but secret de toute cette opération : quoi qu’il arrive, il nous faut récupérer le Saint Gode. Sa place est dans un musée – ou du moins sur la table de chevet de son propriétaire légitime. Si l’Agent Barbera venait à échouer, la tâche vous reviendrait automatiquement…

Message reçu, McGuffin. Cela dit y’a un truc que je pige pas : comment fait-on pour se battre avec un gode ? En avance sur le F.I.O.N, Blackula m’apporte la réponse : « Cheres Orduuuures, les combattantes vont maintenant se livrer un duel à mort… A moins que ce ne soit Amor ? Mouhahaha ! Chacune va enfiler l’une des extrémités du God’s Gode, et la première à atteindre la jouissance sera consumée par un plaisir divin. Bon spectacle ! Croc-Croc Channel, la chaîne qui vous apporte du sang neuf ! »

En temps normal je baverais face à une telle promesse, mais là je suis transi d’effroi. Je comprends mieux pourquoi Hannah a l’air d’avoir la trouille : la pauvre étant orgasmique, le combat est perdu d’avance… Mon ange se précipite d’ailleurs sur le micro ; va-t-elle déclarer forfait ?
« Heu… Y’a comme qui dirait un petit problème ! » dit-elle, l’air gêné. Et ma choupinette d’arracher son bikini, puis de faire un tour sur elle-même, sans la moindre pudeur. L’effet de ce strip-tease improvisé est immédiat : d’une seule voix, la foule pousse un « ooooh » d’étonnement, tandis que le pourtant volubile Blackula en a la chique coupée ; il me semble même déceler une grimace chez la glaciale Eloïse. Si Tonton pouvait avaler sa bite une deuxième fois, il le ferait sans doute, mais en l’occurrence il se contente d’un petit « cowabunga ». Quant à moi, j’en reste coi !

Agent Dante ? Go go go ! Profitez de ce moment de distraction pour vous emparer de l’Objet ! Agent Dante ?

Désolé les mecs, mais je suis trop sidéré pour lever le petit doigt… J’ai beau appartenir au F.I.O.N, ça me met sur le cul. Qu’est-il arrivé au corps si désirable de mon amour ? Evanouis , ses tétons sensibles et ses alvéoles  soyeuses ! Perdus à jamais, sa belle toison claire et son abricot juteux ! Pourquoi a-t-elle fait ça, nom de Dieu ?! Nue sur le ring, Hannah ressemble à une poupée Barbie : tous ses attributs sexuels ont été gommés, lissés, effacés. Même la raie de ses fesses et la courbe de ses seins ont disparu, remplacées par une surface désespérément uniforme, sans creux ni relief… ni érotisme. La plus belle femme du monde est désormais aussi sexy qu’un Playmobil. Quelle petite cachottière ! Hannah n’a pas simplement atteint le grade de Séraphin : elle est passée Archange…  Ce qui va de paire avec la perte de ses attributs sexuels. Car comme chacun sait : les vrais anges n’ont pas de sexe. Les femmes sont vraiment prêtes à tout pour faire carrière.
Au bout de quelques secondes, Blackula retrouve sa verve habituelle : « Chères Ordures, en raison d’un problème technique, le combat ne va pas pouvoir se dérouler dans les conditions initialement prévues. Mais rassurez-vous, le Règlement a tout prévu… Si le premier combattant est déclaré inapte, le duel revient à la charge au second officier le plus gradé présent dans la salle. On m’informe que l’Agent Joe Dante est parmi nous. » Les spots sont braqués sur moi et m’éblouissent comme les phares d’une voiture. « Agent Dante ? C’est à vous, ne faites pas votre timide ! Eloise vous attend avec impatience… 
- Hors de question, je gueule. Divin ou pas, personne ne m’enfoncera de gode dans le F.I.O.N, enfin, le fion ! Le premier qui me touche, je lui… »
Avant que j’aie le temps de finir ma phrase, Harvey et mes voisins de tribune se jettent sur moi et lacèrent mes vêtements de leurs griffes. Ils sont si nombreux que je ne parviens pas à faire face. En trois secondes, je me retrouve à poil, et on me fait glisser de mains en mains vers le ring, à la manière d’une rockstar décadente. J’ai beau me tortiller et distribuer des coups de pieds à l’aveuglette, les Ordures continuent à me trimballer comme un sac à patatatatatatatatatatatatatatatatatatata

***

L’ingénieur son se leva d’un bond : « Chef, le contact avec l’Agent Dante a été rompu, Chef ! Son capteur de monologue intérieur n’émet plus. Cela ne peut signifier que deux choses : soit il est mort, soit il l’a perdu dans la cohue.
- Pile au moment crucial ! pesta le Lt McGuffin. Dante était notre seul agent de liaison ; ces foutus archanges refusent de porter un capteur pour cause de « secret défense ». Vous pouvez me trouver Crocs-Crocs Channel  ?  Ca nous permettra au moins de suivre le match en direct…

…XxxrGGgzzzTzzzfghhhhcowab…

« Chef, une seconde, chef ! Je recommence à capter quelque chose… Je crois que… Oui ! La communication est rétablie !
- Passez-le moi immédiatement ! Agent Dante ? Ici McGuffin. Refusez le duel, je répète, refusez le duel, vous n’avez aucune chance. Attrapez le Gods’Gode, et tirez-vous ! Agent Dante, vous m’entendez ? 
- Cowabunga ? »

Le Lieutenant Cliff Hanger en resta bouche bée. « Le F.I.O.N est dans la merde jusqu’au cou, annonça-t-il à ses hommes. Daniel Whistler vient de récupérer le capteur de monologue… » Le dernier espoir de l’humanité était désormais un semi-mongolien. Sur le moniteur, les pensées du nouveau Narrateur défilaient à la vitesse de l’escargot : « Cowabunga, cowabungabunga, cowabunga ! Cowawabunga ? COWABUUUUNGAAA ! »

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