mercredi 26 octobre 2011

Session 1/Chapitre 2 : Le gnon fait la force [Herr Mad Doktor]

« Cowabunga ! me lance Oncle Dan, le visage tordu par l’effort.
- Cowabunga ! je lui réponds, mais t’aurais quand même pu enfiler un pantalon…
- Cowabunga ? »
         Comme à son habitude, mon tête-en-l’air de tonton se balade la couenne au vent, et son arsenal, bien qu’impressionnant (uzis, sabres japonais, cartouches en bandoulière), ne suffit pas à cacher ses attributs virils. Si avec ça les Reapers ont encore envie de bouffer de l’humain… Depuis un attentat de sinistre mémoire, Daniel souffre d’un pète-au-casque aux conséquences socialement handicapantes. L’oubli systématique de se vêtir en-dessous de la ceinture en fait partie, entre autres excentricités. Dieu soit loué, l’agilité et la force de ce guerrier hors pair demeurent intactes, surtout lorsqu’il s’agit de dessouder du Faucheur.
« Cowabungacowabunga ! » Excité comme un clébard qui retrouve son maître, il me serre dans ses bras. « Tu me feras la fête après, Tonton. File-moi les munitions spéciales et virons ces parasites de la salle de classe…
- Cowabunga », acquiesce gravement Oncle Dan. 
 Les petites balles jaunes qu’il me donne n’ont l’air de rien, mais il s’agit de l’arme la plus efficace qui soit contre les suppôts de Satan. Plus meurtrières que le traditionnel crucifix, plus toxiques que de l’eau bénite, plus redoutées que le pieux en bois : des balles farcies à l’aïoli. Sortez vos parapluies, il va pleuvoir du Reaper…  
« A l’assaut ? proposé-je.
- COWABUNGA ! » hurle le Rambo naturiste en mode berserk, avant de charger l’Ennemi – totalement sidéré par cette apparition aussi impudique que vindicative.
Strike ! Les bras et les jambes des Ordures de la Nuit volent comme des quilles tandis que leurs têtes ahuries roulent entre les chaises, leurs dents acérées dessinant des rigoles dans le parquet. L’ardeur de l’Oncle Dan fait plaisir à voir !  Un daïkatana dans une main et un mini-uzi dans l’autre, il virevolte avec grâce entre les monstres et fait chanter l’acier, décapitant ici, tirant une salve là, et lâchant des « cowabungas » rageurs à tout-va.  Son « costume trois pièces » suit le mouvement, selon une élégante chorégraphie qui me rappelle les vagues délicates du ruban des gymnastes… Comme disait mon regretté Papa, Oncle Dan est un peu l’artiste de la famille.
Plus terre-à-terre bien que tout aussi efficace, je m’occupe de faire déguster mon aïoli maison aux hématophiles, mais les pauvres ne semblent guère goûter les mets relevés, car sitôt entrés en contact avec cette sauce exquise, ils fondent comme du bitume en plein été. Très vite, Dan et moi pataugeons dans un charnier aux teintes bleuâtres, où agonisent de rares survivants morts-vivants.
Méfiance, néanmoins… Car dans le fond de la classe plongé dans la pénombre se devinent trois silhouettes prostrées contre le mur, près du radiateur. Des cancres vampiriques, sans doute trop couards pour se battre ?  
« Alors, lancé-je aux poltrons, on ramène moins sa gueule ? Si la pipelette de tout à l’heure veut parlementer, c’est maintenant ou jamais… »
Le mystérieux Reaper doué de parole ne se manifeste pas, mais une voix familière vient troubler le silence : « J’ai toujours rêvé de te sucer, Joe. Tu viens me faire un câlin ? » L’identité de mon interlocutrice ne fait aucun doute, toutefois son intonation coquine me laisse pantois…
« Audrey, c’est toi ? »
Audrey Charopin, la reine des connes, la lèche-cul en chef, déléguée et première de la classe… transformée en Vampirella de pacotille par la morsure d’un Faucheur. Voilà qui risque de compromettre son passage en classe prépa ! Ses parents vont criser… Mais il faut voir le bon côté des choses : désormais, plus personne n’osera critiquer ses dents en avant.
Attirée par l’odeur de mon sang gorgé de testostérone, la nouvelle Audrey sort de l’ombre.
« Mazette, la mort te va bien, poupée. Ton regard est moins vide, ton visage a gagné en mystère, et franchement, je trouve que ta balafre abdominale te donne un côté gothique assez sexy.
- Merci, mon mignon ! »
L’air de rien, l’Abomination en chaleur s’approche de moi et me roucoule d’un air languissant : « Sais-tu pourquoi les femmes-vampires sont les meilleures amantes dont un homme puisse rêver ? 
- Heu… parce qu’on peut vous baiser à mort ?
- Parce qu’on avale à tous les coups, jusqu’à la dernière goutte ! »
Et Audrey de fondre sur ma jugulaire droite. Je l’esquive de justesse, ses dents claquent à mon oreille, et je m’accroupis derrière son dos. « Désolé chérie, mais je me laisse jamais mordre le premier soir. » Une bonne balle d’aïoli dans le cul, et Audrey se consume sur le carrelage, comme un cachet d’Efferalgan.
« Sans rancune, lui dis-je. D’façons, rien n’était possible entre nous : t’as 16 piges, j’en ai 32. Tu m’as pris pour quoi, un pédophile ? » Surnageant au milieu du magma putride de ses organes en ébullition, ses yeux me lancent un ultime regard interrogateur, preuve que ma couverture était en béton armé. Ouf, fini de jouer la comédie !
Je brandis mon badge et m’adresse aux deux blaireaux restants :
« Agent Joe Dante, des Forces d’Intervention contre les Ordures de la Nuit. Vous êtes en état d’arrestation. Mais si vous préférez bouffer de l’aïoli, c’est tout aussi volontiers… »
Les créatures sursautent à mon annonce et se traînent à grand peine vers la lumière.
L’une a le teint blême et un sourire béant en travers de la gorge : il s’agit de Nico, mon voisin de table. La seconde, qui tient ses intestins entre ses bras, n’est autre que Mme Arriba, notre prof. Elle est la première à parler :
« Je vous ai toujours considéré comme un élève des plus médiocres, M. Dante. Mais pour un trentenaire, votre niveau relève de la débilité mentale… »
Vexé, je lui colle une balle dans la tête. De toutes manières, elle aurait tenté de me béqueter tôt ou tard. Je me montre en revanche plus diplomate envers Nicolas : « J’ai pas envie de te buter, mec, mais j’hésiterai pas. Collabore avec le F.I.O.N., et t’auras la vie sauve… »
Pour se faire entendre, mon ami est obligé de poser une main sur sa plaie du larynx : « La vie sauve ? Tu te fous de moi ? Bordel, Joe, j’ai franchement pas envie de rire… Je vais devoir braquer des banques du sang jusqu’à la fin de mes jours. Enfin, de mes nuits. Et pire : je serai un ado pour toujours. Forever young... Sans déconner, toi t’as vraiment la trentaine ?
- Ouaip. Je suis frappé du même syndrome que Michael J. Fox.
- Parkinson ?
- L’autre.
- Et t’es un putain de keuf infiltré ?
- Comme dans 21 Jump Street, je lui confirme.
- Et moi qui pensais qu’on était de vrais potes ! On s’connaît depuis la Seconde, j’t’ai confié mes secrets et t’as même dormi chez moi ! Les soirées fumette et branlette devant Alerte à Malibu, ça signifiait rien pour toi ? C’était que d’la comédie, enfoiré ?
         - Je garde de bons souvenirs de notre amitié, je lui réponds. Mais le boulot, c’est le boulot. » 
         Comme un film en accéléré, les épisodes clés de ma mission me reviennent en mémoire : mon adoption bidon dans une famille d’accueil, le retour dans l’enfer du lycée, mes efforts pour me fondre dans la faune locale, les interminables et soporifiques heures de cours, les gueules garnies d’acné de mes camarades, les lycéennes à la foune incandescente auxquelles je n’ai strictement pas le droit de toucher (bon, je veux bien avouer une ou deux pipes express dans les toilettes, mais rien de plus), les cours de sport, les devoirs, les passages au tableau, les bulletins de notes catastrophiques, les heures de colle, les bals de fin d’année... et pas le moindre signe d’activité vampirique durant trois longues années... jusqu’à ce jour béni !
         « GrrrRRRrrr ! » J’ai comme l’impression que Nico le Vampire commence à perdre patience… Du sang bleu dégouline abondamment de sa gorge tranchée et ses yeux me lancent des éclairs. « Explique-moi un truc, Joe : en tant que flic, t’étais pas censé protéger la population ? T’as même pas levé le petit doigt pour me venir en aide !
         - Sauver les civils n’a jamais été une priorité, lui avoué-je. Ma mission est d’observer le mode d’action du groupuscule terroriste des Ordures de la Nuit. Rien de plus. »
         La déception de mon camarade est flagrante. Les jeunes sont si fragiles, de nos jours… Pendant un instant, je crois que Nico va se jeter sur moi pour étancher sa rage… mon index se crispe sur la gâchette de mon Desert Eagle et je le mets en joue… mais contre toute attente le jeune vampire se défenestre (« Poulet de merde ! » crie-t-il durant sa chute) et disparaît dans les ténèbres. Les Ordures de la Nuit ont gagné un nouveau membre, et moi un nouvel ennemi.

Pendant que je m’épuisais à parlementer, Oncle Dan s’est chargé d’éradiquer une bonne fois pour toutes les Reapers tombés au combat. Tant qu’il leur reste un misérable bout de cervelle, ces pourritures risquent de se relever… D’ordinaire, on brûle les corps. Mais Daniel Whistler a une méthode bien à lui…
« Cô-ô-ô-ô-waaaaabuuuungaaaaa » soupire-t-il en se tapotant le ventre.
Traumatisé par une célèbre scène d’Indiana Jones et le Temple Maudit, mon oncle ouvre les crânes des Faucheurs à l’aide de son concasseur portable, puis bouffe leurs cervelles bleues à la petite cuillère. Au début, les scientifiques du F.I.O.N. craignaient qu’il ne se transforme en goule, et puis en fait non, Oncle Dan est resté Oncle Dan, sa méthode semble sûre. Cela dit j’ai toujours refusé de la tester… M’est d’avis que c’est pas demain la veille que je trouverai les cadavres exquis.
         « Une idée sur les plans de l’attaque d’aujourd’hui ? » lui demandé-je. Depuis son accident, mon oncle possède un lien mystérieux avec les Reapers : lorsque ces créatures débarquent, il n’est jamais loin… comme un chien attiré par l’odeur de la bouffe. Peut-être sait-il comment les vampires s’y sont pris pour faire tomber la nuit en plein milieu de l’après-midi ?
         « Cowabunga », me répond-il dans un haussement d’épaule, avant de suçoter bruyamment les orbites d’une Faucheuse.
         « Au début je pensais à une éclipse, je poursuis, mais je me trompais : on devine la silhouette blafarde du soleil derrière les nuages… C’est comme si une épaisse fumée noire emplissait le ciel… De la fumée… Mais bien sûr ! Les Ordures ont dû construire un Générateur d’Ombre ! Et ils l’auront forcément placé sur le point le plus haut du campus…
         - Cowabunga, confirme Oncle Dan.
         - Exactement : allons visiter le gymnase ! »   

Alors que je m’apprête à descendre la façade en rappel, j’entends mon tonton pousser un hurlement : « COWAAAAABUNGAAAAA ! » Ce couillon se serait-il encore pris le prépuce dans un clou rouillé, ou bien planté une écharde dans les burnes ? Pire que ça… Je me retourne et découvre le cauchemar ultime de tout homme normalement constitué : une tête de Reaper encore active, sans doute cachée dans un coin de la classe, a roulé sournoisement jusqu’à l’entrejambe de mon oncle accaparé par son festin, et en a profité pour lui croquer la queue ! Fou de douleur, le pauvre danse la gigue et martèle le crâne de l’agresseur, mais le Faucheur ne veut pas lâcher sa proie. Je me précipite à sa rescousse et tente d’écarter les mâchoires crispées de l’ennemi… Autant essayer d’ouvrir la gueule d’un dogue allemand contre sa volonté ! Le temps m’est compté. Bien entendu, une balle à l’aïoli calmerait la bête, mais j’ai peur de blesser mon oncle dans la manœuvre. Un coup de daïkatana ? N’y pensons pas, Daniel risquerait d’y laisser sa queue…
Et pourtant… L’horreur de la situation me frappe en pleine poire : même si je le délivre, mon cher tonton va se transformer en Faucheur. Il a été mordu. Le virus vampirique va commencer à se répandre dans son organisme d’une seconde à l’autre … Ce n’est pas possible ! Daniel Whistler, mon mentor et ami de toujours… Daniel Whistler, ancien équipier de mon père, blessé à la tête en essayant de l’arracher des griffes des Reapers… Daniel Whistler, miraculeusement revenu à lui après deux ans de coma… Daniel Whistler, mon supérieur et lieutenant, ma seule famille, mon âme…
Pas le choix. L’impitoyable solution finit par s’imposer à moi. Il n’existe qu’un moyen en ce monde d’empêcher le Lieutenant Dan de sombrer dans la Nuit : couper le membre contaminé avant que l’infection ne se propage.
J’empoigne le sabre japonais et tranche sa verge à la base. Tonton s’évanouit sur le champ, sans même un petit « cowabunga », alors que son artère pénienne pisse par saccade. Je dégage la tête du Faucheur vorace par la fenêtre d’un shoot puissant (« Essai transformé ! »), puis m’occupe de comprimer la plaie de l’amputé. 
« Couillon, murmuré-je à son oreille d’une voix gorgée de sanglots, je t’avais pourtant dit d’enfiler un futal… »

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