Je suis mort.
J'en n’ai pas l'air comme ça, et pourtant l'état lamentable dans lequel je me vautre depuis le début du cours de bio tient plus de la décomposition psychologique avancée que d'une quelconque fatigue physique. C'est pas pour rien qu'on parle d'un ennui mortel.
Et là, effectivement, la situation pourrait rendre folle même la plus placide des chèvres andalouses. Je suis coincé comme un string au milieu d’une raie dans ce bled, deuxième à droite après le trou du cul du monde, à me faire chier la bite devant ce cours qui ferait roupiller un testeur de chez Jacques Vabre en 3 secondes chrono, et tout ce que je peux faire pour essayer d'oublier la torture mentale infligée par cette... chose entièrement fabriquée à partir de bouts de profs sadiques et mous, c'est participer d'une main torve à une partie de bataille navale avec mon voisin de droite, Nicolas, aussi démuni que moi mais nettement plus inventif.
J'en viens à espérer qu'ils nous attaquent en plein jour. Au moins là y'aurait du sport...
Ca serait toujours mieux que les trois tours de piste du samedi matin. Je suis trop ironique. Ca me perdra.
"A4..." La voix de Nico me sort de ma rêverie. Enfin, de ma rêverie... Bon on s'en fout. "Quoi ?...
"Sur ta feuille, connard, chuchote Nico. A4, touché ou dans l'eau ?" C'est le moment que choisit la veste en velours mauve de la créature qui nous tient de prof pour apparaître à moins de 10 cm de mon nez.
"Dans l'os, je dirais, bêle-t-elle, je vais couler votre porte-avion." Sadique ET drôle, dis donc...
"Une dernière volonté avant d'aller voir la CPE ?
- Oui. Changez d'habits."
Bon, là c'est peut-être un peu exagéré, mais après tout, autant avoir une bonne raison d'y aller chez la CPE.
"Je vous demande pardon ? Dites moi que vous avez bien dit ce que j'ai cru entendre...
- Moi vous savez, j'essaie pas de comprendre ce que vous entendez, j'ai déjà du mal à comprendre ce que vous dites...
- Dites, vous trouvez pas qu'il fait sombre tout à coup ?"
Mécaniquement, ma main se faufile dans la doublure de mon sac. "Y'avait une éclipse prévue aujourd'hui ? Osé-je avec prudence.
- Pas que je sache, réponds Nico en fixant les ténèbres qui engloutissent progressivement la lumière du jour. Mais d'un autre côté j'ai pas regardé la météo, hier soir."
Un sifflement discret. Je m'empare de mon Desert Eagle modifié et me lève calmement.
J'aimerais que cela suffise à faire exploser joyeusement quelques têtes comme des pastèques, mais malheureusement les faucheurs sont plus évolués que ça, et les trous béants que mes balles en argent forment en éclatant sous leur peau ne les font que lâcher prise, les éjectant de leur promontoire et les laissant s'écraser 7 mètres plus bas. Pas assez pour les tuer, mais bien assez pour les mettre hors d'état de nuire pendant quelques minutes.
Un des faucheurs saute sur Audrey qui tombe à la renverse au beau milieu de la salle, et entreprend de lui ouvrir le ventre à mains nues pour y puiser directement son jus. Je les laisse batifoler à même le sol et sors un autre chargeur que j'enfile en vitesse dans mon flingue pour le reste de ces saloperies.
J'en touche un directement dans l'œil, lui confectionnant un monocle en plomb fondu de 10 cm de diamètre.
Un autre se fait disloquer les parties et une bonne partie du bassin. Le verre vole et les Reapers sont tenus à distance, mais j'aurais jamais assez de munitions pour sauver tout le monde. Laurent, qui tentait de se relever, se fait choper par le dos et plaquer contre un mur. J'entends un cri rauque et gluant, et tout ce que je vois, c'est cette saloperie qui colle sa gueule contre le cou de mon camarade de classe, faisant jaillir de sa carotide assez de sang pour repeindre la Chapelle Sixtine façon Art déco. Faut faire quelque chose.
J'ai du mal à éviter les traumatisés qui restent allongés par terre en pleurant, espérant que les créatures ne les remarqueront pas (alors qu'elles sont à mon humble avis parfaitement nyctalopes). Tant pis pour eux, ils ne survivront pas. Je laisse passer les autres devant moi et j'en profite pour recharger une nouvelle fois.
Dernier chargeur.
Je me retourne dans l'obscurité la plus totale et recommence la salve continue pour couvrir les survivants, juste à temps pour voir un faucheur avoir la mâchoire arrachée par les projectiles de mon calibre alors qu'il sautait sur moi gueule ouverte.
Si j'arrête de tirer, le noir nous engloutira et on aura alors beaucoup plus de mal à s'en sortir avec tous les os à leur place.
Mais si j'use mes munitions trop vite, on sera à la merci de ces saletés toutes fripées.
Les élèves crient et gémissent derrière moi.
- Où est la porte, putain !
- Il fait trop noir, on n'y voit rien !"
"Elle est là, la porte, crié-je, la voix à peine audible sous le fracas, les cris et les rugissements, maintenant ouvrez-la, barrez-vous et fermez derrière vous !"
Moi je reste m'occuper des vilains toutous.
Bande de cons... Vous pouviez pas chercher l'interrupteur au lieu de gémir des "Où est la porte" ?
Je m'approche à tâtons (et sans m'arrêter de tirer) de l'endroit où devrait logiquement se trouver l'interrupteur, butant sur les bureaux et éparpillant le matériel scolaire au passage, et effectivement, alors que j'éparpille également l'estomac d'un suceur d'artère qui a cru bon de foncer dans le tas en beuglant, mes doigts touchent le petit loquet de plastique.
C'était peut-être pas une bonne idée de leur dire de fermer le verrou, mais c'est mon côté sauveur de la population à la con que l'adrénaline a fait ressortir. J'utilise ma dernière balle sur le crâne ocre verdâtre d'un des faucheurs, ce qui finit de m'asperger entièrement d'un sang bleu marine bien visqueux.
Au moins si je m'en sors, je pourrais dire à mes parents que c'était une bataille d'encre...
Plus de munitions, la porte de sortie fermée de l'extérieur avec les clés de la prof (que quelqu'un a dû lui chourer vu que j'ai entrevu entre deux éclairs son corps éventré traîner lamentablement au pied de son bureau), et l'obscurité totale...
Si je dois crever, crevons avec classe.
"Tu parles trop et tu ne réfléchis pas assez."
Je peux pas croire que c'est l'un d'entre eux qui me parle aussi clairement. Je savais qu'ils pouvaient communiquer aussi bien que nous, mais pas qu'il s'exprimaient avec une telle aisance.
"Et j'ajouterais qu'un repas qui nous est offert avec autant de verve mérite que l'on s'attarde sur sa dégustation..."
Gloups... Et reGloups...
Je ne les vois pas. Mais une chose est sûre, ils sont là. Au moins une dizaine, à respirer bruyamment, à grogner, à se faufiler dans l'ombre comme des serpents sur pattes. Je les sens s'approcher de moi à pas feutrés, toujours en mouvement. Bientôt ils seront tout proches, et je serai à leur portée.
Daniel. Mon oncle. Daniel Whistler. Avec de quoi me sauver et réduire ces poupées de chiffons sanguinolentes en petit bouts de chair tellement disloquées que même Frankenstein pourra pas les recoller.
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